Le point de vue du saddle-fitter
Posté le 22/11/2024 à 19h22
On entend de plus en plus parler de d’adaptation de selle au cheval, et c’est une très bonne chose!
L’étape 2 étant de réaliser que l’adaptation de ladite selle au cavalier est tout aussi importante. Une selle qui ne vous va pas, qui vous empêche de mettre votre bassin neutre, qui vous jette en arrière du point d’équilibre, perturbera le cheval.
Ce post n’a pas pour objet de juger de l’adaptation d’une selle sur photo, car le fitting est multiparamètres.
(Je ne répondrais pas aux demandes de photos, ici j’aimerais que les échanges soient techniques, holistiques, relatifs aux posturologies cheval ou cavalier, mais ce n’est PAS un post de fitting sur photos)
Voici les éléments que j’aimerais partager avec vous, cavaliers-propriétaires:
1/ Se détacher du marketing
Le marketing est un argument de vente hyper puissant dans le monde de l’équitation.
Mais si on creusait la logique derrière les arguments magiques?
Derrière les effets d’appartenance à une groupe, arguments de type “le(a) meilleur(e) selle/amortisseur/étrier/etc du monde”, quels sont les vrais avancées du produit et est-ce une bonne chose?
Spoiler alert n°1: l’équipement idéal dépend du couple, il n’existe pas d’étrier parfait, ni de selle parfaite, tout simplement parce que chaque humain a ses besoins. Le plancher incliné ne convient pas à tous le monde. Et quelle inclinaison d’ailleurs? 3, 6, 9° ? Ou 5? Ou 0, car cela vous verrouille la jambe en avant?
Aucun produit ne va à tout les corps: aucune selle ne va à tous les chevaux. Aucun mors non plus. Tout comme finalement aucune botte/bombe/pantalon ne va à tous les cavaliers.
Aucun amortisseur n’est universel, car l’intérêt d’un amortisseur dépend de la selle (tonicité de l’arçon, matière des matelassures, besoin d’équilibrage, et préférences de ressenti du cheval ET du cavalier), et nombre d’amortisseurs sont ergonomiquement illogiques ou n’ont qu’un intérêt très limité.
Le Saddle fitting, c’est d’abord beaucoup de logique et d’observation. Et d’adaptation à un couple. Adaptation au physique, mais aussi à l’émotionnel et aux sensations… hé oui. Les humains ont des préférences de sensations, les chevaux aussi.
La selle sur-mesure mais sans différente tailles d’arcades possibles n’est pas du sur mesure.
Jouer sur les panneaux ne change pas l’inadaptation d’une arcade, et peut faire plus de bien que de mal en ayant des panneaux de formes... étranges!
(si vous faite du 36 en pointure, et je je vous vends du 39 en mettant beaucoup de mousse au fond de la chaussure, est-ce que votre démarche sera correcte? Et la tenue dans le temps de la mousse qui va se tasser? A contrario, vous vendre du 39 si vous faites du 42 et vous mettre une talonnette pour que votre pied rendre dans la chaussure en biais, est-ce une bonne chose pour vos orteils et l’ensemble de votre corps? )
2/ un cheval change TOUT LE TEMPS - et d’autant plus qu’il est suivi par de bons pros.
Qu’on change de pension, de foin, de MF, d’ostéo, d’enseignant. Juste avec le travail. Ou l’âge. Le corps évolue, c’est une bonne chose, quand le but est d’améliorer la capacité de portage dudit équidé.
Et bien entendu, il change en cas de blessure/maladie, et le remise au travail sans une selle adaptée sera contre-productive
D’ou l’intérêt de selles ADAPTABLES (arcade modifiable et panneaux modifiables) et de correcteurs à cales, afin de ne pas avoir à changer de selle quand la mesure d’arcade ou l’équilibre dynamique change.
3/ Spoiler alert n°2: Le saddle fitter n’est pas magicien (A notre grand regret)
Une selle adaptée ne sera pas possible sans :
- Une arcade à la mesure du cheval (logique) et à l’arçon qui convient pour le cheval: Mettre des cales ne permet que d’agir sur une faible amplitude - les cales ne suffisent pas à rattraper x tailles d’arcades ou un pont, et pire, ne peuvent rien faire contre une selle d’arcade trop serrée, ou une selle mal conçue.
- Une compatibilité mathématique de couple: si le dos est vraiment très court, et que vous avez besoin d’une taille de siège supérieure à 15”, (vous êtes un adulte, quoi) parfois il n’est pas possible de seller le couple. C’est pourquoi il est important de bien se renseigner sur la taille du dos de l’équidé - un grand cheval n’est pas forcément porteur, un dos “long visuellement” n’est pas synonyme de porteur (attention a ne pas confondre vertèbres thoraciques et vertèbres lombaires), et a contrario les petits chevaux ne sont pas non plus les plus porteurs (Les PSAr ont parfois une vertèbre en moins).
- Du travail sur vous, cavalier - prendre soin de sa posture, être sportif/gainé, prendre des cours
- Un travail postural sur le cheval car un cheval doit apprendre à porter le cavalier avec ces abdominaux, et le travail doit faire en sorte que les apophyses épineuses s’écartent l’une de l’autre, avec une charnière thoraco-lombaire en flexion. La biomécanique du cheval est devenu un puissant argument marketing aussi, sachez LIRE le fonctionnement du cheval.
- Un check vétérinaire complet avec radios du dos en cas de soucis - non un ostéo ne peut pas détecter l’absence de CPE, il faut des clichés.
- Un travail de podologie car les pieds sont les fondations du corps et un cheval aux pieds asymétriques ou non fonctionnels a de fortes chances d’entrainer la selle dans son asymétrie
- Un budget adapté au besoins du couple - certains vont trouver leur bonheur dans une selle synthétique d’occasion à 350€, mais quand on veut du beau cuir, avec un besoin de quartiers raccourcis ou allongés, un siège spécifique et que le cheval à besoin d’un arçon spécifique, le budget est le nerf de la guerre. On n’a pas besoin de 5000€ pour seller un couple, mais il faut un minimum de budget et/ou beaucoup de patience pour attendre le mouton à 5 pattes en occasion.
4/ Avoir une selle adaptée c’est souvent ouvrir la porte aux problèmes VISIBLES
Oui, on crée en pratique des problèmes parfois. Avant, il y en avait aussi, mais pas les mêmes, surement moins visibles pour le proprio, mais visibles par ostéo/shiatsu/etc. Et en apportant du confort, les chevaux s’habituent et ne tolèrent plus l’inconfort. C’est top quand ils nous aident à régler !
5/ les gonfles, granulomes, plaies, frottements, contractures & usures de poils sont des gros signes d’alerte
Des poils élimés en arrière de la selle, une zone de poils blancs, une locomotion dégradée entre le travail à pied et le travail monté. Une selle ne devrait PAS causer de réactions physiologiques. Jamais. Une réaction physiologique de type ampoule ou peau à vif pour nous après une randonnée pédestre n’étant pas signe de confort ni d’adaptation du matériel.
Et ce n’est pas parce que visuellement le problème disparait qu’il est réglé en interne. Loin de là. Par exemple, une gonfle dégonfle en surface, mais quid de l’atteinte du derme en profondeur?
Un décollement profond du derme avec abcès sous-cutané extensif est quelque chose que vous ne voulez pas voir sur votre cheval, je vous assure...
6/ le sanglage est tout aussi important que le reste
Il est important de pouvoir jouer sur les sanglons pour coller à la morphologie du cheval.
Corollaire, la sangle est quasiment aussi importante que la selle, et je ne résous JAMAIS des soucis de blessures à la sangle en travaillant uniquement sur la sangle (cf points précédent).
La sangle doit être propre et entretenue, de longueur/largueur/forme adaptée pour ne pas faire de surpressions sous le sternum, ne pas risquer de blesser les coudes ni appuyer sur des extrémités de muscles importants et doit respecter l’anatomie du passage de sangle.
Là encore, le marketing prend une place importante. “Sangle anatomique?” Oui mais avec quelle largueur /longueur due passage de sangle? Quelle souplesse ou au contraire tonicité? On veut stabiliser la selle sur le cheval, un élastique est souvent contre-productif. Là encore tout dépend de la selle et des préférences du cheval (oui, ils ont des préférences. Parfois inattendues - à mon grand regret - mais c’est leur droit. Et ces préférences peuvent évoluer avec le temps/gainage)
7/ Une fois sentie la vraie locomotion possible de votre cheval , et le vrai équilibrage qui ne vous demande aucune compensation, et qui vous permet de pratiquer l’équitation en étant un cavalier vertical sans efforts musculaires autres qu’être neutre et précis pour pratiquer une équitation efficace, vous ne voudrez plus revenir en arrière. Et c’est le but. L’équitation, ce n’est pas se battre contre la gravité (Spoiler alert n°3: vous allez perdre) ni contre son cheval
8/ les “on a toujours fait comme cela”, “Il se moque de toi”, “cette selle va a tous les chevaux”, “c’est une selle XXX elle vaut 5000€ elle est forcément bien conçue” font saigner les oreilles
Postulat de base: LES CHEVAUX SONT TROP GENTILS. TOUJOURS. Et peuvent performer dans des conditions physiques dégradées au possible.
Rappelez vous qu’ils sont des proies. Le plus faible se fait manger. Donc ils sont programmés pour cacher leurs faiblesses au prédateur.
Les dos aux muscles atrophiés des chevaux qui performent au JO en sont le parfait exemple
Le moindre signe de défense à la vue de la selle, au travail, d’irrégularité, doit vous faire poser question. Malheureusement pas que sur le matériel, la réflexion est TOUJOURS plus globale (cf point 2), et peut aller aussi loin que la posture émotionnelle du cavalier ou la remise en cause totale de l’encadrement.
9/ Le tapis est bien plus important qu’on le pense
un tapis mal conçu peut mettre à mal toute une adaptation. A bas le marketing sur cet aspect encore...
Questions techniques, réflexions biomécaniques sont ici les bienvenues!! Car le fitting, c’est surtout étendre sa réflexion à l’ensemble du système qui nous intéressé, c’est a dire le couple cheval/cavalier en dynamique. Et ca, c’est TELLEMENT compliqué… C’est là où VOUS êtes importants. Vous êtes le préparateur physique de votre cheval. A vous de creuser, observer, changer, expérimenter… c’est fatiguant, frustrant, mais passionnant !
Edit: mise en page et numérotation défaillantes